Une nuit de pluie, un homme s’avance. Son corps ruisselle. Il croise un autre homme au coin d’une rue. Il lui demande du feu, mais n’a pas de cigarette. Il voudrait lui payer une bière, mais n’a pas assez d’argent. Il cherche une chambre pour passer la nuit. Il est un peu ivre. Il parle et tente de retenir l’inconnu.
La Nuit juste avant les forêts est un unique souffle pour dire la marginalité, la violence, l’exclusion. Dans une cavalcade de mots qu’il déroule comme un ruban
La Nuit juste avant les forêts (1977) est parfois considérée comme l’Å“uvre fondatrice de Koltès.
Cette œuvre singulière, écrite d’une seule longue phrase, musicale, rythmée par l’urgence de la parole, est un poignant appel à l’autre – inconnu anonyme, abordé un soir par un étranger anonyme qui parle pour le retenir.
« …si j’avais pu imaginer, je l’aurais inventée comme cela, telle que je la voyais quand je l’ai abordée: petite, pas solide, toute blonde avec des reflets et des boucles, pas trop de boucles, pas trop blonde, juste ce qu’il fallait pour y croire, et que ce ne soit pas possible de courir derrière, et quand je l’ai abordée,: tu n’as pas du feu, s’il te plaît, camarade, pardon, des yeux qui regardent comme seulement on peut l’inventer, et que ça brille exactement comme je l’aurait inventé, pour planer, un soir où c’est désert et où rien ne se passe, mais il y a d’autres soirs, malgré la pluie, malgré cette saleté de lumière et la nuit qui encombre tout, où il traînent des filles – non pas une par hasard, mais plusieurs, l’une après l’autre, de plus en plus belles, mais pas belles comme tu crois, belles comme c’est pas possible, à vous rendre cinglé, à vous rendre d’heure en heure plus cinglé, d’heure en heure des filles plus impossibles, on ne sait quand ça va s’arrêter… »